Une lettre/collage envoyée par un ami fantastique qui habite à Genève.
Départ en voyage, destination lointaine ou trajet du dimanche…
Un lac rêvé, le vent dans les feuilles d’olivier, l’herbe comme de la limaille qui pique, le fond du paysage qui se perd dans l’encre de la photocopieuse. c’est une image qui bouge, qui sent l’été.
en 3 temps
de manière visible et invisible
C’est une danse de masque. C’est aussi un petit bonhomme dans un tableau de Jerôme Bosch, un voisin de palier de l’oiseau bossu qui a un entonnoir sur la tête d’où sort une branchette. Mais à y regarder de plus près avec sa fenêtre à droite, la tapisserie du rideau et le meuble à l’arrière, c’est un tableau de Vermeer de Delft.
une ancienne collection
A la faveur de mon récent déménagement, une farde en plastique transparent réapparaît au milieu de strates de mes archives papiers datant du milieu des années nonante. Je ne me rappelle plus très bien l’état d’esprit qui m’habitait alors mais je suis surprise par l’impression d’ensemble. Malgré l’incohérence apparente de cette masse d’images, des thèmes reviennent, s’agencent plus ou moins et dessinent les contours d’un monde. Il s’agit surtout de photos découpées dans des magazines, dans les journaux mais aussi de cartes postales, d’ambitieux projets de pochettes pour des vinyls qui n’ont jamais vus le jour, d’antiques flyers ou de mon journal photographique photocopié. C’est de manière désordonnée et sans volonté particulière que je vais les mettre ici bout à bout.
ma fiche de lecture : Susan Sontag sur la photographie
A la réduction du monde opérée par l’invention de l’imprimerie qui nous a éloigné de la réalité pour nous faire entrer dans une lecture de la vie, composée de mots imprimés, s’ajoute maintenant l’image photographique, principale source de notre appréciation du présent et de notre connaissance du passé. Réductions qui ont constitué un glissement en deux temps dans l’aliénation. Mais là où l’écrit est communément admis comme une interprétation, au même titre que la peinture, les photographies sont inconsciemment perçues comme un double du sujet, trophée que chacun peut s’approprier. « Collectionner des photographies c’est collectionner le monde ». C’est dans ce sens, à travers cette illusion de posséder la réalité que nous ne sommes pas encore sortis de la caverne de Platon.
L’utilisation policière, le rite social, en passant par le divertissement de masse, l’utilitarisme érotique, l’image-talisman, les publicités, ou l’inventaire du monde sont autant d’applications avec leurs propres rapports au sujet et d’invitations à comprendre de quoi est fait l’acte photographique.
C’est un art mimétique qui dit ce qui est. Or que voit-t-on? Que ce miroir de la réalité voulu neutre est sans cesse dévoyé par le rapport équivoque tissé entre l’art et la vérité, la volonté d’embellir d’une part et le réalisme de l’autre. A chaque fois que l’on choisit un cliché plutôt qu’un autre, un cadrage comme ceci ou comme cela, la véracité est battue en brèche.
Au même titre, le temps qui passe brouille le contenu éthique, l’intention de l’image.
Les photographies n’expliquant rien par elles-mêmes sont tout à fait incapables de nous faire prendre conscience de quoi que ce soit. Il nous faut vraiment avoir une position idéologique claire pour pouvoir décrypter ou être touché par des clichés d’une manière intelligente. L’émotion c’est facile mais c’est une lecture faussée.
Parce que l’appareil photo atomise la réalité qui peut alors devenir une suite d’événements sans liens entre eux, sans sens, le danger serait que l’Histoire ne se résume bientôt plus qu’à une somme de faits divers, de points de vue individuels.
Une mise à plat, distanciée, une représentation toute puissante.
Il s’agit encore d’une affaire de cadrage de la réalité.
Dès les premiers temps, la photographie professionnelle peut être définie comme un tourisme de classe. On vadrouille, on flâne, fasciné par les bas-fonds, on pose un regard détaché sur les pauvres. Atget, Brassaï, Weegee révèlent ce qui est dans l’angle mort de la conscience bourgeoise, montrent une réalité sociale inconnue. Bill Brandt ou Cartier-Bresson chez qui les célébrités suscitent autant la curiosité que les parias, trouveront une solution en passant de l’un à l’autre.
Certains vont se définir comme chercheurs et dresser un inventaire du monde, d’autres en moralistes se concentreront sur les milieux situés aux extrémités de l’échelle sociale. Un exemple de la démarche de chercheur qui fit date dans la photographie documentaire nous est donné par August Sander. Son projet, commencé en 1911, est pour le moins ambitieux puisqu’il s’agit d’une étude poussée et voulue représentative du peuple Allemand dans toute sa diversité. Une sorte de recensement des différents types sociaux sur-lesquels il essaya de ne porter aucun jugement.
Projet imprégné par l’idée européenne de la société vue comme une totalité, le regard de Sander n’est ni dans l’identification ni dans la distance, il connaît son sujet et nous en donne une image qui se veut juste.
Dans l’Histoire des Etats-Unis, la photographie fût un moyen symbolique permettant de prendre possession des lieux pour les nouveaux arrivants, encore étrangers dans leur pays. Elle permit de garder des traces de tout ce qui était en train de disparaître.
Voir une beauté nouvelle dans ce qui disparaît se sont exactement dans ces termes que Walter Benjamin parle de la photo.
Quand Berenice Abbott commence à prendre des clichés de New York en 1929, elle s’explique en ces termes « Je voulais fixer cela avant que le changement l’ait complètement transformé. » Elle observe les prémices de la société de consommation, l’accélération du réel dont une des conséquences est la continuelle obsolescence de ce qui est neuf déjà considéré comme rebut.
La photographie est devenue par excellence l’art des sociétés d’abondance, du gâchis, outil indispensable de la culture de masse. Etonnament c’est aussi une mise en pratique du projet surréaliste. Par la disposition d’esprit largement partagée chez les artistes surréalistes qui veut que la réalité soit quelque chose d’insuffisant, de plat, d’insatisfaisant. Ce mécontentement, loin de produire un élan politique dont le but aurait été la transformation radicale de nos conditions d’existence, aura produit une aspiration à reproduire encore et encore le monde tel qu’il est.
Oui, et à travers cette reproduction fidèle qui fût tant vantée à ses débuts, le regard photographique a tant et si bien valorisé les apparences, les rendant maîtresses des lieux, que l’image est devenue la norme. Toute notre perception du réel est maintenant influencée par des principes qui viennent de la photographie.
La photographie a pu être considérée, à ses débuts, comme une concurrente à la peinture, pour Baudelaire elle en est « l’ennemie mortelle ». Plus tard, le discours dominant, lui rendra honneur d’avoir débarrassé la peinture de l’obligation de la représentation fidèle du réel, permettant ainsi le passage à l’abstraction. Mais la conclusion de ce rapport tumultueux fait apparaître une nette dominance de l’entreprise photographique. La représentation s’est imposée comme réalité, position en quelque sorte indépassable. A tel point qu’une bonne partie de la peinture contemporaine, ne demande qu’à s’éloigner de la pièce unique, reliquat élitiste, et aspire au statut d’objet reproductible. Une façon d’être en phase avec la culture de masse. Le but même de l’art conceptuel ou des installations est d’être immortalisé par la photographie. C’est l’image qui transforme l’installation en oeuvre d’art. C’est d’ailleurs un de ces pouvoirs singuliers que de transformer tout sujet photographié en oeuvre d’art potentielle.
densité irréelle du paysage : un extrait de Lenz de Georg Büchner, première page du récit.
Le 20, Lenz passa par la montagne. Neige en altitude, sur les flancs et les sommets ; et dans la descente des vallées, pierraille grise, étendues vertes, rochers, sapins. L’air était trempé, froid ; l’eau ruisselait le long des rochers et sautait en travers du chemin. Les branches des sapins pendaient lourdement dans l’atmosphère humide. Des nuages passaient dans le ciel, mais tout était d’une intensité…puis le brouillard montait, vapeur humide et lourde et s’insinuait dans l’épaisseur des fourrés, si molle, si flasque. Il avançait avec indifférence, la route lui importait peu, tantôt montait, tantôt descendait. Il n’éprouvait pas la fatigue, simplement parfois, il trouvait pénible de ne pas pouvoir marcher sur la tête. Au début, il avait ressenti une poussée dans la poitrine, quand les pierres s’échappaient soudain, quand la forêt grise s’ébrouait sous lui et que le brouillard engloutissait toutes les formes, ou dévoilait à demi les majestueuses figures qui l’entouraient ; une poussée qui venait du fond de son être ; il cherchait quelque chose, quelque chose comme des rêves perdus, mais il ne trouvait rien. Tout lui paraissait si petit, si près de lui, si mouillé, il aurait bien mis la terre à sécher derrière le poêle. Il n’arrivait pas à comprendre qu’il lui fallût tant de temps pour grimper jusqu’au bas d’une descente, gagner un point éloigné. Il pensait qu’il devait tout pouvoir franchir en quelques enjambées. Parfois seulement, quand la bourrasque lançait la nuée dans les vallées, et que les brumes remontaient le long de la forêt, et que les voix se réveillaient sur les rochers, tantôt pareilles aux échos d’un tonnerre évanoui dans le lointain, puis s’approchant de nouveau dans un grondement formidable, avec les accents d’une sorte de chant d’allégresse sauvage qu’elles auraient voulu dédier à la terre, et quand les nuages revenaient au galop comme un troupeau hennissant de cavales farouches, et que le soleil s’y frayait un passage et s’avançait, glaive étincelant tiré sur les neiges, ouvrant par-dessus les sommets et jusqu’au fond des vallées une voie aveuglante et claire à la lumière, ou quand la bourrasque chassait la nuée vers le bas, et y crevait un pan de lac d’azur, puis que le bruit du vent mourait au loin et que montait du plus profond des gorges, et des cimes des sapins, comme un bourdonnement de berceuse et de cloches, quand une rougeur légère grimpait discrètement dans le bleu intense, et que de petits nuages passaient sur des ailes d’argent, et quand tous les sommets lumineux et étincelants dominaient vastement le pays de leurs contours précis et immuables : alors c’est une déchirure qui lui traversait la poitrine, il s’immobilisait, suffoquant et le corps ployé vers l’avant, la bouche et les yeux grands ouverts, pensant qu’il allait aspirer en lui la bourrasque, tout étreindre en lui-même, puis s’étendait, et son corps recouvrait la terre, s’enfouissait dans l’univers, et c’était une jouissance qui faisait mal ; ou bien, il s’immobilisait et posait sa tête dans la mousse et fermait les yeux à demi, et tout s’en allait alors, loin de lui, la terre se dérobait sous lui, elle devenait aussi menue qu’une étoile errante et s’immergeait dans un fleuve tumultueux dont les eaux claires défilaient sous son corps. Mais ce n’était là que des instants ; il se relevait ensuite, lucide, calme et ferme ; comme s’il n’avait vu passer qu’un jeu d’ombres : il ne se souvenait de rien. Vers le soir, il arriva sur la partie la plus haute de la montagne, sur le champ de neige d’où l’on redescendait vers la plaine, à l’ouest ; là-haut, il s’assit ; ça c’était calmé vers le soir ; les nuages s’étaient figés, immobiles ; dans le ciel, aussi loin qu’on voyait, ce n’étaient que sommets d’où partaient de vastes pentes et tout était si tranquille, gris, crépusculaire ; il se sentit effroyablement solitaire, il était seul, tout seul, il voulait se parler à lui-même mais il n’en était pas capable, il osait à peine respirer, la flexion de son pied déclenchait sous lui comme un grondement de tonnerre ; il dut s’asseoir ; une angoisse indicible le prit dans ce néant, il était dans le vide, il se redressa d’un jet et dévala dans la pente d’un trait.
Georg Büchner, Lenz (1835)
un extrait kilométrique d’Orlando de Virginia Woolf
Ce grand nuage qui recouvrit non seulement Londres mais la totalité des îles britanniques en ce premier jour du XIXe siècle, se stabilisa (mais dans l’instabilité, car de furieuses rafales le ballottaient sans cesse) assez longtemps pour avoir des conséquences extraordinaires sur ceux qui vivaient sous son ombre. Le climat de l’Angleterre semblait avoir changé. Il pleuvait souvent, mais par averses capricieuses qui n’étaient pas plus tôt finies qu’elles recommençaient. Le soleil brillait, évidemment, mais il était environné de tant de nuages et l’air était tellement saturé d’eau que ses rayons s’en trouvèrent décolorés et que des pourpres, des oranges et des rouges sans éclat remplacèrent les paysages plus soutenus du XVIIIe siècle. Sous ce dais maussade et violacé, le vert des choux était moins intense et le blanc de la neige grisâtre. Mais, et c’était le pire, l’humidité gagna bientôt l’intérieur des maisons: cette humidité qui est la plus sournoise de toutes nos ennemies car, si l’on peut repousser le soleil avec des stores et faire fondre le gel avec une bonne flambée, l’humidité s’insinue pendant notre sommeil. L’humidité est silencieuse, imperceptible, omniprésente. Elle fait gonfler le bois, moisir la marmite, rouiller le fer et pourrir les pierres. Elle agit si progressivement qu’il nous faut toucher une commode ou un seau à charbon et les voir se désintégrer sous nos doigts pour soupçonner enfin la présence du fléau.
Ainsi sournoisement et imperceptiblement, sans qu’on pût dire le jour ou l’heure de cette métamorphose, la personnalité de l’Angleterre s’altéra et personne ne s’en aperçut. Les effets furent sensibles partout. Le robuste gentilhomme campagnard, toujours prêt à s’installer devant un plat de boeuf arrosé de bière blonde, dans une salle à manger dignement classique, probablement dessinée par les frères Adam, se mit soudain à frissonner. On inventa les plaids, on se laissa pousser la barbe, on attacha étroitement son pantalon par des sous-pieds. Cette sensation de froid qu’il se sentait dans les jambes, le gentilhomme campagnard eut tôt fait de la reporter sur sa maison : on capitonna les meubles, on recouvrit murs et tables, rien ne fût laissé nu. Un changement de régime s’imposa. On inventa » muffins » et » crumpets « . Le café, après le dîner, supplanta le porto et, le café nécessitant un salon où le boire, le salon des vitrines, les vitrines des fleurs artificielles, les fleurs artificielles des marbres de cheminées, les marbres des pianos, les pianos des ballades, les ballades (sautons quelques étapes) d’innombrables petits chiens, des carpettes, des bibelots en porcelaine, le » home » prit une extrême importance et se modifia complètement.
A l’extérieur, autre conséquence de l’humidité, le lierre se mit à pousser avec une luxuriance inégalée. La pierre nue des maisons disparut totalement sous la verdure. Il n’y eut bientôt plus un jardin, même ceux dont le dessin était à l’origine le plus classique, dépourvu de bosquets, de coins sauvages, de labyrinthes. Le peu de lumière qui s’introduisait dans les chambres où naissaient les enfants, était naturellement tamisée et verdâtre, et le peu de lumière qui s’introduisait dans les salons où vivaient les adultes, hommes et femmes, traversait les tentures de peluche marron et pourpre. Mais la métamorphose ne s’arrêta pas à la surface des choses. L’humidité pénétra à fond. Le froid gagna le coeur des hommes, l’humidité leur monta à la tête. Dans un effort désespéré pour donner à leurs sentiments un nid plus chaud, ils essayèrent tout les moyens tour à tour. On emmaillota l’amour, la naissance et la mort dans de multiples belles phrases. Les sexes s’éloignèrent de plus en plus l’un de l’autre. On ne toléra plus la moindre discussion ouverte. Dans chaque camp, on pratiquait assidûment la dissimulation et l’échappatoire. Aux orgies de lierre et de verdure dans le sol détrempé de l’extérieur, correspondait une fécondité équivalente à l’intérieur. L’existence de la femme moyenne était une succession de grossesses. Elle se mariait à dix-neuf ans et, à trente ans, elle avait quinze ou dix-huit enfants ; C’est ainsi que naquit l’Empire Britannique. Ainsi (car on n’arrête pas l’humidité : elle s’introduit dans l’encrier tout comme dans les boiseries) les phrases gonflèrent, les adjectifs se multiplièrent, les sonnets devinrent des épopées et les petits essais, ces fantaisies longues d’une colonne, furent désormais des encyclopédies en dix ou vingt volumes.
Virginia Woolf, Orlando (1928)
un rêve burlesque
Vacances à Los Angeles. Quelle ville fantastique. Des rues immenses en pur style rococo, une place à faire pâlir celle de la Concorde, d’énormes perspectives, des jeux de géométrie. C’est un bel équilibre entre le vide et le plein. Je prends une chambre dans une auberge de jeunesse. Normal, j’ai 14-15 ans. On m’explique que c’est dans ce hangar de brique que fût tourné » Sunset Boulevard « . L’intérieur est splendide, raffinement de bois et de métal, éléments Art déco dans une ambiance générale très lumineuse, architecture du futur. Je prends la chambre de l’actrice décatie et repars aussitôt vers le hall d’entrée. Quelle surprise, il n’est plus situé dans cette aile-ci mais en face, de l’autre côté de la route. Rencontre avec un adolescent à lunettes de mon âge. Nous nous perdons dans un paysage très découpé, en papier noir et blanc. Nous voilà en camionnette, nous roulons vers ce qui est présenté comme une expérience scientifique de première importance. Pratiquement, des cristaux contenus dans une grande seringue s’écoulent par une rigole qui se jette au milieu une piscine de 50 mètres de long vidée de son eau. Au contact de l’air, les cristaux devraient dégager une intense chaleur et des fumées toxiques. Mais c’est Christophe P. et Nicolas D. qui s’avancent comme volontaires. Les médecins disent craindre des brûlures. Ils sautent sans hésitation dans les fumeroles. Ils ont l’air content. Il y a de la musique. Ah! c’est une party en fait. Les gens arrivent de partout. On danse. Allez hop, c’est le moment de rentrer à L.A. Me voilà m’installant à bord d’un engin volant assez similaire à celui du Baron Rouge. Le mécanicien a juste fini d’installer une antique mitrailleuse que je décolle. Comme caché sous la peau de la mitrailleuse modèle 14-18 qui se désagrège, un canon à plasma. J’inspecte les cartouches. Se sont des munitions Indiennes, des balles faîtes de chapati, de riz parfumé, de curcuma et de quelques pignons aussi. Je ne sais pas qui dirige l’avion, il n’y a personne d’autre, mais moi en tout cas, je regarde le paysage et ne m’occupe de rien. Retour à l’auberge de jeunesse, Eric B. est là. Je lui fait découvrir le lieu qui a bien doublé de volume depuis mon départ. C’est labyrinthique, partout des courbes d’escaliers vernis, des vues vertigineuses. Nous courons dans le restaurant, descendons les escaliers jambes droites, en arrachant les marches qui restent après notre passage au sol comme des petits tas d’allumettes.
les rivages du temps
Dans un tas de papiers ayant appartenu à mon grand-père (1904-2007), un prospectus à l’air publicitaire attire mon attention. Un étang invitant au canotage, des silhouettes minimales étendues, un palace adossé à une colline verdoyante. En lettres dorées « Sanatorium de 1er rang ». Le texte précise la nature du traitement dans les différents espaces où s’organisent la vie des malades. Bain d’air pour dames, bain de soleil, maison de traitement n°2. Avec la promesse : « Grands succès ».
Tous à Davos!
C’est en observant les détails d’une autre illustration, celle de la salle à manger en plein service, qu’en y imaginant un univers sonore, tout à coup parmi les cliquetis de couverts, au milieu de l’épaisseur fluctuante des voix, il m’a semblé qu’une porte claquée sans ménagement suivie de l’apparition d’une jeune femme à la démarche légère compléteraient le tableau de manière opportune.
C’était donc ça. Une sorte de publicité qui contenait le cadre, le décor de la « Montagne magique » de Thomas Mann, un établissement concurrent et miroir en Saxe.
De la « Montagne magique » je me rappelle surtout les variations sur l’écoulement du temps. C’est un temps qui connait la théorie de la relativité, qui s’affirme comme matière première du roman. Il s’étire, se rétracte, joue des tours. Au fil des pages, on s’interroge sur son écoulement uniforme ou sur l’existence d’un 6ème sens propre à sa perception.
Je me souviens aussi de la sensualité particulière du corps malade, alangui sur des chaises longues, objet de toutes les attentions.
Oui, le temps et le corps.
A suivre…
promenade en duo
Ah! Les tournants de la rue Haute.
C’est léger, c’est sinueux comme une rivière.
Les berges font le dos rond. Des tas de sable, la direction de la mer. D’une nature fragile, le trottoir disparaît et nous invite à découvrir ce qui existe sous nos pas. Une canette de Cara, des tuyaux multicolores. Du sable qui révèle mais qui engloutit aussi.
Nancy pointe du doigt la vitrine d’une ancienne librairie d’occassions.
promenade solitaire
Boulevard de l’Abattoir, je n’en crois pas mes yeux. C’est la senne qui coule là en-dessous. A cet endroit, un plan de 1897 m’apprend que c’était la petite Senne qui allait se jeter dans le Canal de Charleroi. Bruxelles, c’est aussi l’absence d’une rivière, son effacement de notre mémoire.