Cosmos-1383 made in USSR

URSS87

Quelle drôle d’idée ce voyage scolaire. Leningrad, Moscou, Leningrad en février 1987. Je me rappelle très bien de la neige la nuit, de la présence de la Néva, des canaux paisibles, du linge qui pendait aux fenêtres sur la perspective Nevski, des trams qui ne faisaient pas le même bruit que chez nous mais qui sentaient aussi quelque chose comme le gravier, de la visite du musée de l’Ermitage où ne suivant pas le rythme effréné de la guide, j’ai commencé à lambiner juste pour pouvoir regarder tranquillement les tableaux. Et puis, je me suis assise et n’ai plus bougé quand ils sont repartis au pas de course vers les couloirs. Après, j’ai continué à mon rythme. Heureuse. Il y avait peu de visiteurs, dans certaines salles le silence prenait le dessus, enrobait tout. Ce souvenir adolescent préfigure quelque chose de ma vie d’adulte. En fin de journée, il a bien fallu se rendre à l’évidence, ma classe avait quitté les lieux. J’étais seule.

Dans le monde de la production industrielle, une des conséquences de la mise en place des structures permettant la marchandisation des forces de travail aura été la normalisation, la destruction de notre propre rapport au temps, une reconfiguration à notre désavantage de la façon dont nous devrions pouvoir déterminer le sens de notre temps de vie et la qualité de son écoulement. Ce fut certainement un des leviers de l’aliénation, de l’intégration de la contrainte du travail dans notre psyché.

Mais dans le jardin sauvage qu’il est précieux à cultiver, ce temps des organes, de la peau et des cheveux qui poussent, de la lumière qui change, des promenades avec leurs changements de cap, du végétal capricieux. Le temps non morcelé, dans son immense étendue nous rattache à une force d’être, à notre dignité possible à n’être pas avili par le temps de la machine, du rendement ou de l’efficacité. Quand Jean-Jacques Rousseau écrit : « Je n’ai jamais cru que la liberté de l’homme consistât à faire ce qu’il veut mais bien à ne jamais faire ce qu’il ne veut pas » ça résonne fort agréablement et tout le monde comprend de quoi il en retourne.

Mais revenons à nos images. C’est en banlieue de Moscou que nous avons visité le musée de la conquête spatiale d’où proviennent ces 3 vénérables cartes postales. Distorsion entre l’image photographique et le souvenir de notre entrée dans ce hangar gris entouré de sapins. Le toit était en mauvais état, une neige fine se déposait sur les satellites. Une ambiance de chambre collective dans un hôpital de campagne : les héroïques voyageurs de métal revenus de leurs périples avaient mauvaises mines.

Dans ce décor saturé de l’entêtant kitsch soviétique l’imminence du changement de régime devait bien être perceptible, je ne dis pas par nous évidemment, écoliers du Brabant Wallon au regard perçant mais à l’analyse réduite. Mais malgré tout, ces capsules, Spoutnik et sondes nous apparaissaient quand même comme les traces d’un monde déjà disparu.

La légende, en Russe, Anglais, Français, Allemand et espagnol nous dit de la première photo : station automatique interplanétaire « Véga » qui a participé au programme scientifique international « Vénus – comète de Halley »

De la deuxième :  Satellite « Cosmos-1383  » intégré au système COSPAS-SARSAT (système de recherche et de sauvetage des navires et des avions).

Capsule géophysique de la fusée « Verticale » destinée à l’étude du soleil d’après le programme « Intercosmos »

De la troisième : Station automatique orbitale universelle « Oréol-3  » pour l’étude de la magnétosphère et de l’ionosphère de la Terre.